"Én dolgozni akarok" EMLÉKPAD. József Attila 1905-1936

 dolgozni akarok Jozsef Attila 1905-1937

vendredi 17 juin 2011

VERTIGE MATINAL

VERTIGE MATINAL

Écoute-moi, pourvu que cela ne t'ennuie.
J'ai cessé mon labeur
vers trois heures après minuit.
Je me suis couché, mais la tête, ce moteur
cliquetait sans répit dans sa vapeur.
Je me suis tourné, puis retourné dans le lit,
mais le sommeil m'a fui.
Je l'appelais pourtant, en comptant jusqu'à cent,
par des banalités, par des médicaments.
Mes mots me regardaient avec ferveur.
Mes cigarettes excitaient mon cœur.
Puis le café aussi, et tout. Eh bien, ça va,
Je vais donc me lever, tant pis.
En chemise de nuit, je ferai les cent pas.
Tout autour, la famille. Notre nid.
Bouches qu'un miel de rêve emplit.
Je titube comme un ivre – et alors
je jette par hasard un coup d'œil au-dehors.

Où commencer? Voyons, tu connais bien
ma maison, non? Et si tu te souviens
de ma chambre à coucher,
tu dois savoir aussi
à quel point à cette heure, vue d'ici,
elle est déserte, minable, oubliée,
la rue Logodi où je vis.
On voit jusqu'au fond des logis.
Chaque homme gît,
autant de quilles renversées
touchant dans leur propre esprit qui leur joue des tours,
car ils sont tous comme gommés
dans l'anémie de tous les jours.
A côté de leurs lits,
leurs souliers, leurs habits.
Enfermés comme dans quelque boîte, ces gens
rêvassent au jour d'embellir l'appartement;
pourtant, si l'on croit aux images,
toute demeure est une cage.
On entend le tic-tac d'un réveille-matin
qui boite longtemps puis déclenche enfin
son vacarme strident:
«Lève-toi, le réel t'attend!»
La maison, elle aussi, bêtement, tel un mort,
comme elle le fera au siècle prochain, dort.
Et si elle s'écroule, qui saurait voyant en son centre l'ivraie,
qu'elle était notre abri et pas un poulailler?

Mais ce qu'on voit, ami, ce qu'on voit dans les cieux!
Tout y est lumineux et somptueux,
fidèle et solide et tremblant de feux.
Le firmament
est toujours la voûte d'antan,
comme le couvre-pieds bleu de maman
ou bien la tache d'encre sur mon cahier blanc;
et les astres dont l'âme
respire et doucement enflamme
la nuit paisible qui précède
l'hiver, nuit encor tiède,
ces astres qui, de leur ineffable lointain,
ont vu marcher l'armée des Phéniciens
me voient maintenant, moi qui devais naître
en ce pays et qui me tiens à ma fenêtre.

Je ne sais plus ce qui m'a pris:
je croyais entendre d'ailes le bruit,
et s'est penchée vers moi mon enfance depuis
longtemps ensevelie.

J'observais des heures durant
les merveilles de la voûte céleste,
mais déjà le jour s'annonçait à l'Est
et les étoiles brillaient en tremblant
sous l'haleine du vent
tandis que très-très loin,
un immense faisceau rayonnant: le matin
éclairait le portail d'un céleste château,
qui s'est ouvert soudain, et le faisceau
s'enflammait et quelque chose ondulait,
les hôtes s'en allaient,
la nuit du bal glissait dans la pénombre
de quelque profondeur plus sombre.
Mais le proche était plein de feux,
l'amphitryon fit ses adieux,
ce noble maître de céans,
de tous ces festins le géant,
puis tintement et brouhaha,
puis des chuchotements tout bas,
comme quand les bals se terminent
et les valets appellent les berlines.

Ensuite dégoulinement
lointain et lent
d'un voile de dentelles, ruisseau de diamants
venant
de la pénombre, et puis, en bleu, la pèlerine
de quelque belle avec sur la poitrine
une splendide pierre fine
qui l'illumine
ainsi que la paix claire et tout le bleu
de l'au-delà pâle des cieux;
ou est-ce un ange qui, chaste et suprême,
fixe dans ses cheveux
quelque diadème?
Femme qui vient de se jeter
comme en rève, sans ton ni son,
au fond de son
landau léger
pour avec un sourire coquet s'éloigner?
Quel carnaval! Les fers des chevaux qui s'élancent
vers une Voie Lactée tout en magnificence,
étincellent, tandis que pleuvent tout en or
des confettis sur les caléches de l'aurore.

Je restais bouche bée,
et, saisi de bonheur, ne cessais de crier:
il y a chaque nuit, au ciel, un bal de fées.
Et c'est alors que j'ai compris
le secret sacré qu'à la fin des nuits
les fées du firmament regagnent leurs logis
sur les grands boulevards de l'infini.

Et toi? – me suis-je dit. – Et toi?
Quelles fables usées cherchais-tu ici-bas?
De quelles putains étais-tu la proie?
Quel manuscrit t'était si important
Que tu laisses écouler tant de temps
sans voir ce bal que maintenant
tu aperçois?

Cinquante années ont fui,
j'en suis tout ébahi,
que de morts parmi mes amis!
Mais tous ces célestes voisins,
depuis toujours de mes pleurs les témoins,
sont bien vivants et scintillent ici.
Bref, je dois l'avouer: en homme qui fléchit
je me suis incliné pour dire un grand merci.

Malgré qu'il n'y ait rien pour attirer ma foi
et que je sois sommé de partir une fois,
Je fis de mon cœur raide une corde tendue
et me mis à chanter vers l'azur, vers les nues,
vers l'Être qui se cache et demeure introuvable
et que je ne verrai ni vivant ni cadavre.

Oui, ami: à l'âge où les muscles se desserrent,
je crois qu'en titubant dans la poussière,
sur des glèbes, parmi un tas d'âmes déchues,
je fus quand-même l'hôte, sur la terre,
d'un très haut Seigneur inconnu.

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